Solidarité : première pierre de l’esprit libre


Il ne fait aucun doute que la solidarité est au cœur de l’esprit libre. Cependant, quelle est sa définition et quels en sont les contours ?

Pour y répondre, il est utile de se pencher sur les travaux de la philosophe française Monique Castillo, qui, dans une de ses nombreuses publications, définit les quatre types de solidarité partagés par tous les êtres humains (Castillo, 2017).


La première solidarité, dite « solidarité des endettés », relie les vivants et les morts. Elle nous rappelle que la vie humaine est un don reçu en héritage, un présent fragile, marqué par la mort en tant que lot commun et expérience ultime à nous tous. Elle s’accompagne d’un profond sentiment de « dépendance originaire » à l’égard de tous ceux qui ont bâti notre monde, qui nous ont élevés, qui nous ont transmis un bagage culturel, psychologique et intergénérationnel. La littérature met en relief les facettes abondantes de cette solidarité fondamentale. Pour ne donner qu’un exemple, nous pouvons citer le livre/journal Pensées pour moi-même
de Marc Aurèle. L’empereur stoïcien y décrit, tout au long du premier chapitre, ce qu’il doit à chacun de ses ancêtres, de ses parents, de ses proches et de ses éducateurs.


La « solidarité des inachevés », pour sa part, se concentre dans « l’idée d’une solidarité par le progrès ». Elle octroie une importance précieuse à la transmission intergénérationnelle des acquis et « signifie que toute œuvre, toute invention et tout projet n’existent que parce qu’ils ont des successeurs ». L’histoire des sciences abonde en exemples illustrant ce type de solidarité. Ces derniers nous enseignent notamment que la recherche est une œuvre collective qui évolue au fil des siècles. Les questions laissées sans réponse, faute de moyens et/ou de temps, par un chercheur sont reprises par un autre. En cela, nous pouvons parler de « solidarité des inachevés », même si celle-ci ne se limite pas bien évidemment à la recherche scientifique.


La « solidarité des menacés » germe dans l’humanité consciente de ses fléaux actuels tels que la guerre nucléaire, la crise écologique/économique ou la pandémie. Ces plaies concernent l’humanité dans son ensemble et la rendent « solidaire dans le mal ». Amin Maalouf, membre de l’Académie française, nous assigne à des somnambules en marche vers un affrontement planétaire, banalisé de plus en plus dans les discours et « présenté comme une vision réaliste de l’avenir ». Conscient de l’urgence écologique, l’économiste français Serge Latouche nous invite à sortir de la consommation effrénée, hybris contemporaine, représentée par la déesse de l’arrogance chez les Grecs, pour entrer dans un imaginaire décolonisé, celui fondé sur « le sens des limites » et la dimension spirituelle de l’existence humaine « insérée dans le cosmos ».


La « solidarité des inspirés » affirme que l’espèce humaine est intrinsèquement créatrice, ce qui l’amène à se réinventer en permanence. Geste créateur et collectif, elle émane « d’une énergie vitale, à la fois biologique, intellectuelle, morale et spirituelle », que nous partageons tous. Influencée par la pensée bergsonienne, cette conception de la solidarité conteste la vision utilitariste de l’intelligence, celle d’une rationalité « exclusivement réductrice, cumulative, mécanique et répétitive ». Elle s’oppose de la sorte à la réduction de nos vies en données quantifiables, à l’élémentarisation de nos émotions, ainsi qu’à toute forme de déshumanisation numérique en général.


La genèse des quatre formes de solidarité que nous venons de décrire se situe dans notre condition humaine. Cette approche « innée » de la solidarité est indissociable du regard « culturel » sur ses origines.

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