Flashback : Quand le gouvernement s’est ouvert aux logiciels open source

La France privilégie les logiciels libres aux propriétaires, un choix ardu mais décisif dans le futur.

Introduction

C’est en 2016 que l’Assemblée Nationale votait un projet de loi pour soutenir l’utilisation de logiciels libres à la place des logiciels propriétaires. Dû à des désaccords profonds entre l’Etat et les créateurs de logiciels qui s’opposaient catégoriquement à une favorisation dans la loi d’un type de solution plutôt qu’un autre, le projet a été retardé jusqu’à ce qu’il soie validé le 15 février 2018.

Maintenant officiellement en vigueur, quels ont été les impacts de cette loi ? Etait-ce un moyen de soutenir le logiciel libre, ou une vraie opportunité de changement d’utilisation des logiciels ? Ou se situe la France vis-à-vis de l’Europe en terme d’utilisation de logiciels libres ? Autant de questions sur laquelle nous allons vous éclairer.

Open source, propriétaire… Quelle différence ?

Tout d’abord, rappelons la différence entre un logiciel open source et un logiciel propriétaire. Contrairement aux logiciels dits propriétaires comme la suite Office de Microsoft ou le Mac OS d’Apple, le code source des logiciels libres est ouvert (on parle d’open source). Ce qui permet à chacun de s’en emparer pour l’examiner dans le détail et l’améliorer en permanence. Cette transparence le protège aussi des intrusions malveillantes.

L’enjeu du libre

“Le logiciel est intrinséquement transparent” prononce Chrisitan Paul lors d’un évènement à l’université La Rochelle en Janvier 2016.

Pour le député PS Christian Paul, le “libre” est un enjeu de souveraineté numérique pour la France :

Le logiciel libre est intrinsèquement transparent. Alors que les scandales d’écoutes et d’interception de données se multiplient, il semble essentiel que l’Etat, les administrations, les établissements publics et les entreprises du secteur public privilégient des outils dont elles peuvent acquérir la pleine maîtrise”, explique-t-il.

Discours Université La Rochelle en janvier 2016.

Le marché du logiciel libre en quelque chiffres

On 2015, on estimait que le secteur devait engendrer 6 milliards d’euros de CA en 2020 et représenter 13% du marché total des logiciels et services, contre 5% en 2012.

5 ans après, voici que le marché de l’open source pèse désormais plus de 6 milliards d’euros (6,233 milliards) en France et plus de 25 milliards en Europe. Sa croissance devrait le faire passer à plus de 60.000 emplois en 2020 et 70.000 à 80.000 emplois en 2021.

Plus précisément, l’étude a démontré que le milliard d’euros que les entreprises de l’UE ont investi dans les logiciels libres en 2018 ont déjà généré entre 65 et 95 milliards d’euros de croissance économique.

Elle prédit qu’une augmentation supplémentaire de 10% des contributions au logiciel libre, au sein de l’UE, générerait chaque année un gain de 0,4 à 0,6% de PIB, et permettrait la création de plus de 600 start-up supplémentaires. Ces chiffres confirment le potentiel très élevé du retours sur investissement dans les logiciels libres.

Les logiciels propriétaires grondent et boycottent le marché

Ce marché qui semble être en progression constante se confronte à un concurrent bien installé, le logiciel propriétaire. Le Syndicat de l’Industrie des technologies de l’information (SFIB), le Syntec Numérique et 25 dirigeants d’éditeurs, dont Cegid ou Oodrive, ont co-signé l’appel. Le marché du logiciel propriétaire pesait 50 milliards d’euros en France en 2015 et pâtirait certainement d’être exclu de la commande publique.

De plus, obliger l’Etat à recourir à l’open source pourrait nécessiter de modifier aussi le code des marchés publics, qui impose la neutralité technologique de l’Etat.

L’insécurité règne sur le libre

Le logiciel libre est une bombe à retardement si nous ne gardons pas son contrôle.” Gérard Gystol dans un article Zped.net

Toutefois, la sécurité demeure une préoccupation : 38 % identifient la sécurité comme étant la principale limite à l’utilisation de l’open source. C’est parce que, si vous ne gardez pas le contrôle du code open-source, vous risquez de manquer des correctifs de sécurité. Le cas le plus connu est celui d’Equifax, qui a exposé 143 millions de données de crédit d’américains regardant la série à succès “Breaking Bad”, à cause de l’absence de mise à jour d’Apache Struts.  Equifax a également précisé que les cybercriminels étaient parvenus à accéder aux numéros de carte de crédit de 209.000 citoyens américains.

Les projets de la France et de l’Europe

  • Établir des stratégies open source spécifiques au niveau de l’UE et dans chaque État membres axées sur la stimulation de la croissance économique, de l’innovation et de la souveraineté numérique.
  • Donner la priorité à l’open source dans les achats de logiciels par les secteurs public et privé de manière à ce qu’il devienne impossible de créer une dépendance insurmontable envers les fournisseurs.
  • Promouvoir l’investissement dans les logiciels libres, par exemple avec un soutien aux PME pendant les phases précompétitives de développement de nouvelles technologies, et une généralisation des incitations fiscales aux contributions open source.
  • Augmenter le financement public de projets open source spécifiques et stratégiques, en particulier pour les petites et moyennes entreprises, au travers des programmes existants et de nouvelles initiatives.
  • Placer l’open source au cœur des stratégies de développement des compétences numériques et de l’enseignement de l’informatique à travers l’Europe.

Création de la DINUM

La direction interministérielle du numérique (DINUM) accompagne les ministères dans leur transformation numérique, conseille le gouvernement et développe des services et ressources partagées comme le réseau interministériel de l’État, FranceConnectdata.gouv.fr ou api.gouv.fr. Elle pilote, avec l’appui des ministères, le programme TECH.GOUV d’accélération de la transformation numérique du service public. Dans le cadre du plan France Relance, elle pilote la mise en œuvre du volet Transformation numérique de l’État et des territoires, pour le compte du ministère de la Transformation et de la Fonction publiques.

Elle référencie un certain nombre de solutions numériques proposées par les entreprises aux services publics. Ce catalogue doit permettre aux éditeurs logiciels qui possèdent un établissement en France de faire la promotion de leurs diverses solutions auprès des administrations publiques. Cela passe par :

  • Des cartes (OpenStreetMap),
  • Des bases de données (Open Food Facts)
  • Des projets communautaires (Wikimédia, Commons, Wikidata etc.).

Ces outils numériques libres et collaboratifs (dont découlent d’autres outils comme transport.data.gouv.fr, qui rassemble les données de toute l’offre de mobilité à travers la France) sont aujourd’hui déjà bien connus, mais l’État encourage les administrations à y contribuer davantage.

Elle facilite l’accès au marché de supports logiciels libres en poussant à la création de nouveaux communs numériques libres et collaboratifs pour accompagner la conduite des politiques publiques.

Pour publier leurs codes sources, les administrations publiques ont à leur disposition tout un tas d’outils. L’État préconise un dépôt sur GitHub, GitLab ou sur des instances locales de GitLab. Au final, c’est la plateforme code.gouv.fr qui référence les codes et bibliothèques publiés par les administrations. Elle met aussi en lumière les codes sources susceptibles d’être fortement réutilisés.

Enfin, elle cherche à mettre en avant les agents et chercheurs qui contribuent aux logiciels libres ou aux communs numériques, mais aussi d’en attirer d’autres, au sein de l’administration, en les référençant dans le vivier des talents du numérique. L’État espère aboutir à l’organisation d’un événement annuel porteur, le « sprint du libre et de l’open source », pour passer à la vitesse supérieure.

La France, leader européen du libre

Le Teknowlogy Group (ex-PAC – Pierre Audoin Consultants) a publié, à l’initiative du CNLL, de Syntec Numérique et de Pôle Systematic, son étude annuelle sur le marché de l’open source.

Elle indique que la filière des logiciels libres en France devrait maintenir une croissance très soutenue, attendue à près de 9% par an jusqu’en 2023, supérieure à la croissance moyenne du marché IT qui avoisine les 4% en 2019-2020.

Dans près de 80% des entreprises, l’utilisation de l’open source va augmenter dans les deux ans à venir. La France, talonnée par l’Allemagne et le Royaume-Uni, conserve sa place de premier marché en Europe. C’est aussi le marché où la part de l’open source reste la plus importante dans le marché global de l’informatique, avec plus de 10% (contre 7% en Allemagne et 7,4% au Royaume-Uni).

Le Prix de la meilleure stratégie Open Source a d’ailleurs été attribué à une entreprise française bien connu, SNCF. le groupe SNCF “pour ses efforts globaux et son implication dans le logiciel libre et la construction de communs dans des objectifs d’innovation ouverte et de souveraineté numérique. Cet engagement se retrouve dans plusieurs initiatives de SNCF et de ses filiales : e.Voyageurs (projet Tock), Kisio-Digital (Navitia), et l’animation inter-entreprises par la SNCF (TOSIT et PostgreSQLfr).

Conclusion : Le projet de loi a su tenir ses promesses

Du moins, le choix du gouvernement de promouvoir le logiciel libre et de lui laisser une place plus importante qu’auparavant permet de ré équilibrer la balance avec les logiciels propriétaires. Même si la neutralité politique de ce choix est en faute, et que les logiciels propriétaires se sentent mis à l’écart, il est rassurant d’observer des chiffres prometteurs. Le libre, un secteur d’avenir qui pourrait bien faire encore plus parler de lui dans les prochaines années..

Un commentaire

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