Un dernier riff à la guitare, une chansonnette poussée sous les dernières lueurs d’été, à l’ombre d’un châtaignier… Vous vous apprêtez à partager cette ode à la noix pour émoustiller les oreilles de vos comparses d’Internet. Tout feux, tout flam’s, vous vous dirigez goulûment vers une licence Creative Commons pour partager votre aubade.
Mais voilà, votre soif de liberté a éveillé l’appétit de faux labels qui se régalent déjà du son de votre tube de l’été…
Nombreuses et nombreux sont les artistes qui se retrouvent face à des blocages de l’usage et de la monétisation de leur propre musique sur Internet par des faux labels. Le site Fiverr, une place de marché virtuel, accueille des reventes de musiques d’artistes libristes. Problème, les conditions d’usage qui incombent à la préservation des œuvres libres n’y sont pas mentionnées lors de la vente. En particulier celle de ne pas activer, via les sites de distribution musicale, l’outil Content ID qui bloque l’usage et la monétisation des musiques sur les plateformes de streaming.
Pour cet article, je me base sur l’enquête qu’a menée Rose, compositrice de musiques libres de droit sous licence Creative Commons 0. Ses recherches ont cherché à questionner la privatisation de musiques libres sur Internet.
Mais avant tout, quelques rappels pour comprendre le schmilblick de l’histoire :
Les licences Creative Commons
Ces licences permettent aux créateurs et créatrices d’assouplir les usages de leurs œuvres selon plusieurs critères :
- devoir nommer ou non l’auteur ou l’autrice,
- devoir redistribuer ou non sous la même licence que la licence de l’œuvre,
- autoriser ou non un usage commercial,
- autoriser ou non la modification de l’œuvre.
On se retrouve donc avec plusieurs possibilités de distribution selon les critères choisis.
Les licences CC s’adressent donc à celles et ceux qui veulent :
- partager et faciliter l’utilisation de leur création par d’autres,
- autoriser gratuitement la reproduction et la diffusion (sous conditions),
- accorder plus de droits aux utilisateurs en complétant le droit d’auteur qui s’applique par défaut,
- faire évoluer une œuvre et enrichir le patrimoine commun,
- économiser les coûts de transaction.
La licence CC0 est la plus permissive et la plus proche du domaine public puisque aucune limite à la diffusion de l’œuvre n’existe.
Le Content ID
Le Content ID est un outil Google lancé en 2007 sur Youtube. Il permet de détecter des produits (extraits vidéos, musicaux) copyrightés et d’en restreindre leur utilisation (contenu bloqué et/ou monétisation bloquée et redirigée vers l’auteur ou l’autrice). C’est devenu un outil massivement utilisé, du fait de sa simplicité, pour protéger sa musique, que ce soit par les grands noms de l’industrie de la musique ou de la vidéo, ou par Charlie et sa série vidéo des « Trombines musicales » (on kifferait que Charlie existe). Une case à cocher pour attester que l’on possède les droits de la musique et roulez trombines.
Seulement il y a un hic (sur une fréquence peu fameuse acoustiquement) : n’importe qui peut donc prendre une musique sous licence CC et lui appliquer le Content ID.
Mais double hic : cette pratique est illégale puisque Content ID ne doit pas être utilisé sur des contenus dont les droits d’utilisation sont non-exclusifs, autrement dit Content ID ne doit pas être utilisé sur les licences CC.
Avec ces rappels en tête on comprend l’absurdité des situations où les artistes libristes reçoivent des messages d’avertissement pour atteinte aux droits d’auteur sur une musique qui leur appartient.
Pour régler ce problème, c’est une bataille à mener avec les services de distribution des musiques. C’est long. C’est fatiguant. Et ça ne nous dit pas qui est derrière le pseudo étrange qui rediffuse une musique par Content ID.
De faux labels
Nous y voici : qui a voulu profiter de la faille du Content ID sans aucune éthique ?
Rose nous apprend qu’après recherches sur une réclamation qui lui avait été envoyée pour une de ses musiques, elle tombe sur un label anglais qui n’avait pas connaissance du problème et était passé par Fiverr pour récupérer la musique.
Mais alors Fiverr, c’est quoi ?
C’est un site qui simule une place de marché pour artistes indépendant·es. On y trouve des pack de musiques dite « Royalty Free Music Pack » sans aucune mention des licences et des provenances des musiques contenues dans le pack.
Hic – un vendeur d’un pack avoue avoir récupéré une musique sur « Youtube Audio Library ».
Quand bien même la licence de la Youtube Audio Library de la plateforme propriétaire n’autorise pas la distribution des musiques, elles ne permet pas un réel regard sur les licences de ces dites musiques (comme peut le faire Dogmazik).
Peertube, en revanche, permet l’affichage en clair de la licence en dessous de la vidéo.
Pour résumer, nous avons donc :
- des artistes qui déposent leurs musiques sous licence Creative Commons, sous licences non exclusives sur tout type de plateforme (Youtube, site perso, ou autre),
- des personnes :
- qui piochent dans ces musiques et les revendent sous forme de pack sous des titres comme « No copyright music », « Royalty Free music », en mentionnant rarement les licences originelles ni la provenance de ces musiques,
- qui revendent sous licence Private Label Rights des contenus sous licence Creative Commons 0 et du domaine public (contenu qui possèdent certains droits et restrictions, notamment de ne pas être utilisé avec Content ID),
- qui ne précisent pas les restrictions d’utilisation d’outils comme Content ID.
- des personnes qui achètent ces packs en croyant avoir tous les droits sur leur contenu, et qui vont chercher à gagner de l’argent en contactant des distributeurs pour activer Content ID sur ces musiques,
- des services de distribution qui demandent simplement d’attester sur l’honneur que l’on possède la totalité des droits sur la musique, sans vérification préalable, et proposent pour une modique somme d’activer Content ID sur la musique,
- des utilisateurs et utilisatrices de contenu sous licence Creative Commons qui reçoivent des réclamations alors qu’iels croient utiliser du contenu libre de droit non exclusif,
- des artistes (les mêmes qu’au début) qui doivent contacter les services de distribution pour supprimer l’utilisation de Content ID sur leur propre travail.
Constat : il y a un manque d’institutions de défense du domaine public et des contenus sous licences libres. Dogmazic en France résiste bien mais à ce rythme, il y a besoin d’une organisation fédératrice de défense de la non-exclusivité des ressources sous licence libre de droit et du domaine public.
Cet article a été rédigé sur la bande son acoustique / folk de l’album « The adventure goes on, vol.1 » de Komiku, publié sous licence Creative Common 0 – CC0 1.0 (Public Domain Dedication)